Voici les articles du
Bulletin N°1 de l'association.
Quatrième trimestre 1998.
SOMMAIRE DU N°1 Editorial Gerard LABONNE CRETE D'AUJOURD'HUI
CRETE D'AUTREFOIS
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Editorial |
Edito Lappel de Maria | ||
Maria est de ces femmes qui entretiennent la tradition
hospitalière crétoise ; avec sa famille, Maria est heureuse daccueillir dans sa
bâtisse de Kokini Chani le voyageur en quête de toit. Comme beaucoup de ses congénères, elle propose aux visiteurs des chambres coquettes et bon marché dans un cadre reposant. Mais ce visiteur devient rare, avalé par la boulimie des complexes hôteliers qui construisent leur gigantisme autour de plages préfabriquées. Et, Maria a peur; peur pour ses enfants qui, dès cette année sont obligés de partir pour chercher du travail ; peur pour son village qui se transforme à grande vitesse sous les coups assassins des spéculateurs ; peur pour son île qui connaît une nouvelle occupation, plus insidieuse : celle des capitaux européens pour un tourisme doré. Mais Maria lutte ; elle crie fort sa volonté de rester crétoise sur ce terreau de traditions séculaires. Ce nest pas du nationalisme mais une volonté farouche de rester vivant. Et nous partageons cette aspiration, parce que nous aimons cette terre aux antiques "cent villes ", ce royaume de Minos, cette éternelle résistante ; parce que le contact direct avec le Crétois, cest léchange, la connaissance, la culture et pour nous la forme de tourisme la plus mutuellement enrichissante et respectueuse des identités. Nous prolongeons le cri de Maria pour que la raison lemporte sur le mercantilisme. Nous répondons à lappel de cette terre comme la fait en son temps un autre ami de la Crète : Victor HUGO quand les canons turcs abattaient les murs dArcadie.Nous ferons tout pour que la Crète reste porteuse de nos mythes et de nos rêves, pour que les valeurs de son peuple soient la fierté de tous les visiteurs. Gérard LABONNE |
A la découverte de la Crète: |
La Crète, avec une superficie de 8261 km2, occupe la cinquième place parmi les îles méditerranéennes, après la Sicile, la Sardaigne, Chypre, et la Corse. De par sa variété de paysages, une flore abondante, une faune variée, un climat doux et régulier, la Crète attire chaque année des milliers de touristes. On la repère facilement à sa forme oblongue, et cest lîle la plus méridionale de la Grèce. Elle est très montagneuse, et sétend en longueur sur 260 km. Sa largeur varie entre 12 et 60 km. Ses côtes, rocheuses ou sablonneuses,sétalent sur 1046 km. On dénombre environ 650 000 habitants La Crète est forrmée de quatre nomi (départements) dont les chefs-lieux sont la Chanée, Rethymnon, Heraklion et Agios Nikolaos.Chacune de ces villes a un charme bien spécifique et recèle bien des surprises.
Rencontre Avec... |
Nikos Kastrinos est crétois.
Crétois à PARIS, où il exerce ses talents de restaurateur au
Minotaure , Rue de la Huchette dans le 5ème arrondissement.
Dans son regard se lit la nostalgie des exilés, de ceux qui, un jour, ont emprunté les
chemins du monde en laissant un langage, des êtres, un ciel.
Lhomme en partance est riche de sa culture . Nikos est de ceux là. Sa lyre la
suivi jusquen France comme un prolongement de lui même. La musique le ramène aux
confins des rivages crétois, berceau dune culture multi-millénaire.
Certains
soirs, des caves du 5ème arrondissement sexhalent des accents égéens
qui se mêlent à la nuit parisienne. Là, on aimerait partir. Oui, on aimerait partir.
En Crète, vous étiez musicien, à PARIS, vous êtes restaurateur,
néanmoins vous ne pouvez quitter votre lyre. Vous donnez des cours et, de temps en temps,
vous accompagnez vos musiciens pour le plus grand plaisir de vos clients. Doù vient
cette passion ?
Nikos
Kastrinos
: Elle vient de mon grand-père. Quand jétais jeune, je jouais en
cachette avec la lyre de mon grand-père. En cachette parce que mon père avait peur que
je laisse mes devoirs scolaires. Et un jour, à loccasion dune grande fête,
des amis de la famille sont venus féliciter mon père et lui ont dit : « ton
fils joue bien ». Il était tellement fier quil ma acheté une grande
lyre. Depuis, je joue et quand on joue de la lyre, on ne plus sen passer. Et
cest encore à cause de la lyre que je suis venu en France pour jouer dans un
établissement et je suis resté. Maintenant, jai des jeunes enfants, je leur
apprends pour prolonger la tradition. Et ils ont envie dapprendre.
Existe-t-il des
écoles de lyre ?
NK : En Crète, dans toute les grandes villes.
Actuellement, il y a une recrudescence importante de
lintérêt pour cet instrument. Une pépinière de jeunes talents
sépanouit. De plus, la Crète est quasiment la seule région de Grèce où
lon conserve cette tradition de la lyre lors des fêtes familiales et locales. Il y
a vraiment une fierté crétoise pour la musique et les traditions insulaires.
On
apprend cet instrument de père en fils
NK :
Oui, cest vrai.
Principalement les garçons. Mais on trouve à présent quelques filles, et je dois avouer
ma surprise lors de mon dernier séjour dans lîle, à loccasion dun
concert donné par de jeunes joueurs dont le professeur était une femme.
Peut on dire que la lyre a une origine divine ?
NK :
Oui, bien sûr. Jen suis convaincu. Souvenons nous dApollon. Le son de
la lyre est unique, très particulier, différent de celui du violon. On peut dire
quil est fait pour la musique crétoise. On dit en Crète : « Si la
Crète a deux vies, une de ces vies est la lyre. »
La
lyre est rarement seule dans un orchestre, elle côtoie la guitare, le laoùto (luth), la
mandoline dans lexpression musicale crétoise. Quelle
est sa particularité dans lorchestration ?
NK :
Normalement, elle est avec
un Laoùto.
La
lyre est un instrument qui joue des sons longs, mais elle doit être accompagnée ;
autrefois, cétait avec un tambourin (daoùli),
aujourdhui, en Crète, la lyre est avec 2 luths un qui garde le rythme,
lautre qui accompagne la lyre- Les plus jeunes ont mis la guitare mais gardé le
luth.
Parfois, on voit un bouzouki, mais le bouzouki ne va pas avec la lyre parce que, lui
aussi, joue des sons longs et le bouzouki a
besoin dune guitare ou dun accordéon en accompagnement. Quand les Vénitiens
sont venus en Crète, ils ont introduit la mandoline, mais ce nest pas
laccompagnement naturel.
Dans les nouveaux orchestres, on met une lyre, une guitare et une mandoline ou même
parfois, une boîte à rythme. Cest dommage, ça fausse la sonorité. Ce nest
plus la musique crétoise.
Quelle est la différence entre le rizitiko et les mantinades, deux
expressions de la musique crétoise ?
NK :
Le rizitiko est avant tout
lexpression du malheur et de la joie des gens, de lâme profonde crétoise à
travers les épreuves (occupation, tragédies). La région de Sfakia et tout louest
de la Crète a conservé de tous temps et malgré ladversité, ses traditions et
lâme de la Crète..Les Mantinades,
cest autre chose, cest une expression optimiste, on parle damour, du
chagrin damour et le Crétois est toujours amoureux
Que
peut on dire des rythmes ?
NK :
Chaque région a sa façon
de jouer les Mantinades. A louest,
cest dynamique, plus dur ; à
lest, cest plus mélodieux, sans doute parce quil y a plus de joueurs de
violons à Héraklion, Lassithi. En plus, il y a dans chaque département des musiques
particulières : « les Kondilies » musique
qui accompagne des vers ou groupes de vers ; on entend les kondilies dHéraklion, kondilies de Sitia, kondilies
de Mirabello. De grands joueurs travaillent ces particularités. Et la lyre est là pour
toutes ces expressions.
Toutes les lyres ont elles le même son ?
NK :
Ca dépend du bois, du technicien. Ma lyre vient de chez un fabricant de Rethymnon, qui
est décédé aujourdhui, mais qui a fournit des lyres à tous les grands joueurs de
lyre crétois parce quil savait choisir le bois. Cest très important car la
lyre est dun seul bloc, sans assemblage ; le bois est creusé et pour avoir
lépaisseur minimum, la sonorité parfaite, il faut beaucoup dexpérience.
Même le vernissage est important. Aussi, le luthier est à la fois artisan et
musicien ; cest un artiste.
La
danse compte beaucoup en Crète. Au vu de sa diversité, peut on parler dun
renouveau actuel ?
NK :
Chaque région a ses
danses locales : un « Syrtos » dans chaque département ; on a le
« Kastrinos » qui vient de Kastro
(forteresse) dHéraklion. En plus de ces deux danses, nous avons le « Pendozali » et la « Sousta ». La danse est pour le Crétois un
moyen dexprimer sa fierté.
Nikos Kazantzàkis faisait dire à Zorba que le Crétois ne danse que
lorsquil est heureux. Peut on dire alors que la lyre est linstrument du
bonheur ?
NK :
Cest sûr, on le voit dans les mariages, les fêtes, la lyre parle de
lamour ; mais elle parle de la mort également parce que ce sont les éléments
de la vie. Oui, la lyre parle de la vie et
reste optimiste
Je voudrais parler dun joueur exceptionnel, mort jeune : Rodinos. Il avait la
passion de la lyre. Egalement Skordalos, mon modèle. Ces deux joueurs ont développé
leur propre style, lont inventé.
Décrivez-nous
la technique de jeu de la lyre.
NK :
On touche la corde avec
les ongles, non avec la pulpe du doigt comme la guitare. Et ainsi les doigts courent entre
les cordes.
Et
Nikos prit linstrument.
De lâme de la lyre partit la longue complainte du Rizitiko que lon entend
dans les montagnes Blanches.
Propos recueillis par Christophe GOLFIER
Message |
Hauteville House, février 1867
En écrivant ces lignes, j'obéis à un
ordre venu de haut ; à un ordre venu de l'agonie. On connaît ce mot, Arcadion, on connaît
peu le fait. En voici les détails précis et presque ignorés. Dans Arcadion, monastère
du mont Ida, fondé par Héraclius, 16 000 Turcs attaquent 197 hommes, et 543 femmes, plus
les enfants. Les Turcs ont 26 canons et 2 obusiers, les Grecs ont 240 fusils. La bataille
dure deux jours et deux mois ; le couvent est troué de 1 200 boulets ; un mur s'écroule,
les Turcs entrent, les Grecs continuent le combat, 150 fusils sont hors de service, on
lutte encore six heures dans les cellules et dans les escaliers, et il y a 2 000 cadavres
dans la cour. Enfin la dernière résistance est forcée ; le fourmillement des turcs
vainqueurs emplit le couvent. Il ne reste plus qu'une salle barricadée où est la soute
aux poudres (....)
Victor HUGO |
Si on parlait des minoens. |
- On situe la civilisation minoenne vers lâge de bronze, entre le troisième et le deuxième millénaire avant Jésus-Christ , entre 2400 et 1200. Dans cet intervalle de temps, les Minoens construisent de riches palais. Ils adaptent le sol à leurs besoins, développent un art exceptionnel et font des échanges avec leurs plus proches voisins.
Au début du troisième millénaire, ils sétablissent dans de petites communautés villageoises, travaillent la pierre et le métal, fabriquent des vases et des sceaux, des bijoux et des objets usuels.
Au début du deuxième millénaire, apparaissent les premiers palais. Dans ces constructions grandioses on trouve des magasins où lon entrepose des céréales, de lhuile et divers produits des récoltes, on trouve également des ateliers, des résidences, des salles de trône, des sanctuaires et des bassins. Si les palais semblent avoir un rôle administratif, ils ont avant tout un rôle religieux, ce qui nous amène à les considérer comme des temples. Ce sont des centres de pouvoir où vit le roi-prêtre. De véritables villes les entourent, comptant quelques milliers dhabitants. On y commerce, on y redistribue toutes sortes de marchandises, produits agricoles ou produits du formidable art minoen. On y trouve plus de confort quà la campagne. Les rues sont pavées, on y observe des systèmes de circulation deau, on imagine aisément la présence de salles de bain et de toilettes. Les rues sont étroites et les maisons de pierre accolées les unes aux autres forment des blocs compacts, que séparent des jardins et des cours. Contrairement aux palais, ces maisons sont construites au bon vouloir de chacun, en absence totale de plans, avec les matériaux directement extraits du sol.
Les deux palais les plus grandioses sont Knossos et Phaistos, et lon croit au début du 20ème siècle, lors des premières fouilles, que lère minoenne se développa essentiellement dans la partie orientale de lîle. Bien entendu il nen est rien : les baies naturelles de la Crète, propices aux entrées et sorties des bateaux, ont fait naître dimportants centres tels que lantique Kydonia et Kommos. La mer est également très présente dans la vie minoenne. De nombreux navires, ou simplement des coquillages et des crustacés sont représentés tant sur les fresques que sur les poteries. La plus belle preuve de leur attachement à la mer reste le dauphin, devenu animal sacré en Crète.
Les minoens se déplacent non seulement sur leurs côtes, mais aussi jusque sur les côtes asiatiques ou africaines, pour y vendre les produits de leur terre et de leur artisanat. On trouve trace des Crétois enEgypte ou en Syrie, à Malte ou encore en Turquie.
Mais la Crète est avant tout une terre de paysans. La vie rurale sorganise autour de petites agglomérations, près dune source ou dun cours deau, ou sur les pentes plus ou moins douces dune montagne. Chacun possède un lopin de terre pour y faire un potager, élève un âne, quelques chèvres, des moutons, ainsi que des volailles , et en cela rien ne semble avoir changé au cours des siècles.
Les maisons sont simples, généralement carrées ou rectangulaires, les murs sont sommairement taillés dans de gros blocs de pierre. Dans certains de ces villages, on trouve une villa plus importante. Cest une sorte de ferme, de plusieurs pièces. Et lon suppose que son propriétaire y vit à son aise, les murs y sont solides et la maison se situe au milieu de riches cultures. Vathypetro et Tylissos sont de merveilleux exemples de ces somptueuses résidences.
En dehors des agglomérations, on voit quelquefois une hutte, une cabane de berger, quand celui-ci ne sabrite pas dans une caverne, et ce nest pas ce qui manque dans cette île !
Les villages sont bien souvent entourés de vignobles et de champs doliviers. On cultive grand nombre de céréales, de lorge, du blé, du froment, et également des légumineuses. Beaucoup de végétaux poussent à létat sauvage : on cueille le lin pour en faire du tissu et de la sauge pour ses vertus médicinales.
On fabrique de lhuile, du vin, on taille la pierre, on extrait des minerais, on chasse dans la montagne.
Et on sème, on laboure, on moissonne, on récolte sous lil bienveillant de Demeter
en effet, le Minoen noublie jamais ses dieux.
Les palais apparaissent donc vers lan 2000 avant JC. En même temps apparaît une écriture : le Linéaire A. On compare les rois crétois à des pharaons, exerçant un contrôle important sur la population, et abritant dans leur palais des scribes. Le symbole de cette royauté religieuse est la double hache. Les dieux crétois nont pas de temples, mais des chapelles dans les palais.
Lintérieur des pièces du palais est souvent badigeonné de rouge, et les artistes peignent directement sur les murs : on y voit des animaux, des fleurs, quelquefois des personnages.
On a découvert des tables doffrandes rectangulaires ou circulaires, par exemple à Malia une belle table à cupules circulaires. A Knossos, on a trouvé des autels quadrangulaires ornés de cornes et de doubles haches , des objets en terre cuite représentant un enclos darbres sacrés, des coquillages en forme de cornes ayant pu servir à lappel aux offices.
Que ce soit sur les peintures murales, sur les vases, sur les chatons des bagues, on trouve des représentations de cérémonies religieuses qui avaient lieu dans les cours des palais, sur les agoras à lextérieur.
On saperçoit que la religion minoenne est surtout celle dun peuple de paysans : processions et danses portent un intérêt particulier à la vie des champs. Elles sont associées à la vie de la terre, à la croissance des plantes, à larrivée du printemps. Selon la légende, Demeter naquit en Crète, puis sunit à Jasion, un laboureur, avant de venir dans la plaine dEleusis, afin dinitier les Grecs aux secrets de la culture. Les danses mimaient les semailles, les plantations, la cueillette, les récoltes.
On suppose quil devait exister des confréries cultuelles, sans doute secrètes, qui perpétuaient rites et danses sacrées. Par exemple les Courètes, fondeurs de bronze, qui veillaient sur lenfance de Zeus, et dansaient pour le Dieu en frappant sur leurs boucliers.
On trouve également trace de sacrifices. Le fameux sarcophage dAgia Triada représente le sacrifice dun taureau et une scène doffrandes de fruits. Dans bon nombre de sites on retrouve des restes danimaux immolés.
Le Minoen adore ses dieux, il les vénère, il les craint. En effet il se soucie beaucoup de son avenir dans lAu-delà. Lors de chaque cérémonie funéraire, on apporte des offrandes, des objets ayant appartenus au défunt. Les tombes sont de formes diverses, carrées ou rondes, et couvertes. Le corps est enveloppé dans un linceul, et pour les plus riches, déposé dans un sarcophage.
Comme dans la plupart des religions, la religion crétoise a débuté par le fétichisme, pour déboucher ensuite vers le polysymbolisme et lanthropomorphisme. Cette religion est pleine de mystères. Dès le néolithique on voit apparaître des idoles féminines. La Grande Déesse gouverne la vie, le monde animal. Elle peut être entourée de fauves, de serpents, ou encore de colombes. Les représentations mâles sont plus rares : on trouve de petites statues de guerriers, de chasseurs. Le dieu mâle est souvent symbolisé par le taureau, la double hache. Cest le Dieu Crétois, dieu de la fécondité, fils et amant de la Grande Déesse. Il meurt et renaît périodiquement dans la grotte du Mont Iouktas. Minos, roi-prêtre, faisait retraite tous les 9 ans dans la grotte sacrée, afin de reprendre contact avec la divinité.
La religion minoenne a longtemps survécu en Crète, se prolongeant jusquà lépoque romaine, au travers des cultes dans les grottes sacrées. Elle a influencé la religion grecque par lintermédiaire des Achéens de Mycènes. Les conceptions crétoises de la divinité ont donné naissance au Panthéon grec. Sauf que les dieux de lOlympe étaient immortels, alors que les crétois mouraient et renaissaient. Pour les Grecs, la Crète restera une source dinspiration alimentant les légendes de Dyonisos, dApollon ou encore dHéraklès.
En 1750 avant JC, on constate la première chute des palais, ils sont reconstruits ensuite, et une nouvelle écriture apparaît : le Linéaire B. Les palais seront définitivement détruits aux environs de 1200, probablement par linvasion dun peuple venu de la mer.
On na malheureusement pas trouvé de textes religieux, mais le déchiffrage de lécriture minoenne nest pas terminé, et lon peut espérer en savoir un jour davantage La Crète pourrait bien encore nous réserver des surprises. Elle nous étonne déjà au travers de ses gigantesques constructions, de ses fresques, de ses poteries, de ses mythes, issus de limagination, du formidable rêve minoen.
Des siècles ne suffiront pas à tout déchiffrer, à tout analyser, à tout comprendre. Aurons- nous le temps matériel den saisir lessence ?- Suzanne
Ecriture : l'enigme crétoise |
Dans la grande aventure des écritures, les historiens, les ethnologues et les graphologues ont retissé les liens qui font remonter lorigine de notre alphabet moderne à lépoque sumérienne vers 3300 avant J.C.. De lécriture cunéiforme naissante entre le Tigre et lEuphrate à lalphabet utilisé dans les écoles françaises du XXe siècle plus de 5 millénaires dévolution, de révolutions ont marqué lhistoire de lhumanité.
Dans cette vaste tranche dhistoire, la Crète, qui a dominé en mer Egée pendant plus de 5 siècles (2000 1450 av. J.C.), qui a commercé avec lEgypte et les ports syro-palestiniens, a développé des écritures singulières qui continuent à garder leurs parts de mystères.
- Quand naquit la première écriture crétoise ?
- Quel sont les liens entre les écritures hiéroglyphiques, linéaire A et linéaire B ?Les recherches conduites par trois amoureux de la Grèce ont permis de mettre à jour des éléments de réponses à ces questions.
Le mérite est dautant plus grand quà la fin du siècle dernier, toute trace des civilisations minoenne et mycénienne avait disparu. Ce qui marquait profondément le contexte de lépoque était linconnu et donc, ne pouvait être comparé aux conditions des «Egyptologues » ou des chercheurs mésopotamiens. Aussi, aux premiers pas de larchéologie grecque, on ne peut parler de découvertes sans parler du génie de leurs auteurs.
La nouvelle épopée homérique
Quel était le point de départ ? Uniquement lhéritage laissé par les auteurs anciens : Homère bien sûr, mais aussi Hérodote, Platon, Thucydide, Diodore de Sicile ou Pausanias et bien dautres. Des écrits où se mêlaient des aspects romanesques, les déformations dues au temps et aux traditions orales.
Et après études, analyses de ces textes, lhistoire a refait surface de façon magistrale sous les coups de pioches de Heinrich Schliemann sur la colline basse de Hissalik en Turquie. Entre 1871 et 1873, il va donner vie à larchéologie homérique. Le monde entier va savoir que Troie existe
Et si Homère avait dit vrai pour Troie, la ville de Priam, pourquoi aurait-il mentit pour Mycènes, la ville dAgamemnon ?
Aidé par les affirmations de Pausanias au IIème siècle après J.C., selon lesquelles les tombes contenant les trésors des fils de Pélops se trouvaient près de Mycènes, Schliemann creusa des tranchés à lintérieur même de lenceinte de la ville, derrière la porte aux lions et trouva les richissimes tombes des rois de Mycènes..
Ses trouvailles spectaculaires avaient attiré en mer Egée chercheurs et savants.
Luniversitaire Arthur T. Evans avait 25 ans au moment des découvertes mycéniennes, et, plein dintérêt pour le passé, il remarqua linexistence de traces écrites dans tout le mobilier funéraire remonté à la surface par Schliemann. Etait-il concevable quune riche civilisation maîtrisant lartisanat, ignore toute forme décriture ?
Les écritures crétoises.
Il est vrai que la présence décriture, même primitive, est corollaire dune organisation sociale et politique structurée, hiérarchisée. Cest ce que, sur le plateau anatolien, les Hittites connaissaient à la même époque.
Pourquoi pas en mer Egée ?
Des hasards heureux allaient déclencher un processus de réponse.
En 1889, un antiquaire vend une pierre gravée sur 4 faces à lAshmolean Muséum dOxford. Daprès ce marchand, lobjet viendrait de Sparte..
Après examen, Evans est partagé entre deux hypothèses :
- Ou bien lobjet est dorigine hittite La tête de chien (ou de loup) tirant la langue qui se trouve sur la surface c est semblable à celle représentée sur des objets hittites.
- Ou bien un système décriture dorigine anatolienne sest développé en mer Egée au deuxième millénaire avant J.C.
En interrogeant le musée de Berlin, il put établir que de nombreuses pierres étaient gravées de caractères hiéroglyphiques, distincts des hiéroglyphes égyptiens et hittites. Lorigine crétoise était confirmée lors du voyage dA. Evans en Crète en 1894. Il constata que de nombreuses femmes portaient au cou, comme un talisman, ce type de pierre quelles appelaient galopètres «pierres de lait ». Il put noter que lensemble de ces signes formait une écriture cohérente. Ces résultats furent publiés dans le Journal of Hellenic Studies sous le titre «les pictogrammes crétois et lécriture pré- phénicienne ».
Les preuves de lexistence dune écriture crétoise au second millénaire allaient se multiplier.
Des signes beaucoup plus évolués que les hiéroglyphes étaient gravés sur un vase découvert à Podromos Botsanou. Cette écriture fut considérée par Evans comme syllabique.
Dans la couche préhistorique de la grotte de Psychro, sur le plateau du Lassithi, une table à libation en stéatite noire composée de godets creusés dans la pierre et destinés à recevoir des offrandes fut trouvée en 1896. Cette table comportait une inscription de huit signes entremêlés de deux interponctions, de même type quà Podromos. Cétait peu mais néanmoins suffisant pour dire que nous nous trouvions devant des témoignages dune écriture pratiquée par les Crétois à un âge préhistorique. Evans baptisa ce système décriture de linéaire A.
La révolution crétoise contre les Turcs éclata en 1896 et la mise en place du nouveau gouvernement autonome fournit loccasion à A. Evans de fouiller le fameux site de Cnossos sur lequel, un antiquaire crétois, Minos (prédestiné !!) Kalokairinos avait ramassé des objets prometteurs.
Nous ne ferons pas ici la chronologie des fouilles de Cnossos mais il est dune grande importance de noter la présence de trois écritures superposées dans des couches qui remontent au deuxième millénaire.
- La plus ancienne, celle des pierres de lait, est une écriture pictographique que lon retrouve à Cnossos sur des tablettes, des médaillons dargiles et des empreintes de cachets.
- La seconde, appelée linéaire A, était ordonnée par les scribes de gauche à droite
- La plus grande majorité des documents trouvés étaient rédigés en une écriture quEvans appela linéaire B : elle date de la dernière phase de la construction du palais.
A la même période, lAméricain Blegen partit à la recherche du palais du roi Nestor, combattant troyen. Il mit à jour, dans la région dEpano Englianos au nord de la baie de Navarin, près de 600 tablettes en linéaire B quil sortit de la salle darchives du roi Nestor à Pylos . Cette découverte montrait que le linéaire B nétait pas une écriture exclusivement crétoise ; elle entraînait de nouvelles questions : comment des documents trouvés sur le continent pouvaient-ils être semblables à ceux de Cnossos ? Cette complication portait un coup au «crétocentrisme » dEvans.
Nous étions donc face à un nouveau défi : le déchiffrement de ces écritures inconnues servant à noter une langue inconnue. Evans et beaucoup dautres savants tentèrent de le relever.
Le linéaire B
Des pistes furent ouvertes : Evans compara le linéaire A et B et le syllabaire chypriote, il constata la présence de déterminatifs dans le linéaire B et le caractère décimal des chiffres utilisés ; en 1927, lAméricain A.E. Cowley détermina les groupes de signes désignant les enfants, les garçons et les filles ; sa compatriote Alice Kober démontra que certains groupes de signes présentaient deux variantes par rapport à la forme simple. Ces trios prouvaient que le linéaire B était flexionnel ; après la seconde guerre mondiale, lAméricain Emmet L. Bennet mit de lordre dans les documents mycéniens, il étudia les variantes de signes.
Tous les éléments du puzzle étaient posés sur la table, au génial chercheur de les rassembler.
En 1940, à 18 ans, Michael Ventris publiait un article dans lAmerican Journal of Archaeology intitulé : « Introducing the Minoan language » dont lidée principale était de chercher une langue apparentée au «minoen» et lEtrusque semblait le mieux placé. La guerre interrompit cette recherche..
En 1948, après avoir obtenu son diplôme darchitecte, il reprend ses recherches sur le linéaire B. Il souligne le besoin didentifier les alternances entre signes indépendants des valeurs phonétiques à attribuer à ces derniers. Il commença ses « Work Notes» quil décida de faire circuler parmi les spécialistes des écritures égéennes. Ces « Work Notes » sont aujourdhui publiées et chacun peut mesurer le cheminement du génie de Ventris entre la « Work Notes » n°1 du 28 janvier 1951 et la « Work Notes » n° 20 du 1er juin 1952 intitulée «les tablettes de Cnossos et de Pylos sont-elles écrites en Grec ? » dans laquelle il propose de voir du Grec dans les syllabogrammes du linéaire B. Dix huit mois de travail acharné pour résoudre une énigme de 3500 ans..
La communauté scientifique lui donna raison ; les fouilles archéologiques suivantes confirmèrent cette réussite.
Une page de lhistoire grecque était à réécrire : les Mycéniens parlaient grec et écrivaient le grec avec le linéaire B.
Le linéaire B découle du linéaire A : les idéogrammes, le système numérique décimal, les syllabogrammes sont les mêmes. Les Mycéniens ont appris à écrire à lécole minoenne. Quand et comment cet emprunt sest-il fait ?
Deux spécialistes des langues crétoises ont tenté dy répondre. J.L. Godart et J.P. Olivier. Tous deux pensent que linvention du linéaire B est un fait crétois ; lunité paléographique des documents trouvés dans le monde grec ne peut sexpliquer que si lemprunt a été fait en une fois et à une source unique. Cette source doit être une forme de linéaire A agrémentée par les besoins économiques des Mycéniens. Cette adaptation a eu lieu vers 1600 avant J.C. et en Crète dont certains grands centres étaient devenus des comptoirs mycéniens.
Et quels sont les liens entre les écritures hiéroglyphiques et le linéaire A ?
Les découvertes à Arkhanès, Mallia et, en 1953, à Phaistos ont montré que dés lépoque protopalatiale (2000 à 1600 av J.C.), les Minoens utilisaient ces 2 écritures différentes et ceci dans un contexte pacifique et pour traduire une même langue.
Aujourdhui, on ne peut guère en dire plus sans tomber dans des hypothèses de spécialistes. Le travail reste à faire : ces écritures sont à lire, et aspect encore plus complexe, à traduire. Et personne ne peut affirmer que nous ne sommes pas en présence dune langue inconnue et peut être à jamais disparue.
Le débat continue et cest à partir de la découverte dautres tablettes, dautres matériaux et surtout avec une bonne dose de patience et de ténacité que lanalyse viendra peut être à bout des secrets de Minos
Gérard LABONNE
Bibliographie :
- L. GODART : Le pouvoir de lécrit Aux pays des premières écritures
- J. CHADWICK : Le déchiffrement du linéaire B
- P. FAURE : La Crète au temps du roi Minos.
- S. ALEXIOU : La civilisation Minoenne.
- M. MASTORAKIS / M VAN EFFENTERRE : Lâge dor de La Crète.
Kommos : porte sur la Méditerannée. |
Tout
dabord, on quitte Pitsidia en direction du
sud par un sentier à travers les oliviers et les figuiers
On chemine parmi danciens vignobles délaissés par lhomme. Quelques guêpes
bourdonnent dans ce paysage crétois.
Lodeur puissante des figues jaillit à limproviste. Des filets tapissent le
sol au pied des oliviers. Lété grec touche à sa fin.
Le chemin arrive maintenant à son terme : La Méditerranée. Un bleu profond qui se
mêle au vent venu du large, de lAfrique tout au bout, de lautre coté.
Comment ne pas penser à Arthur RIMBAUD : « Léternité (
)
cest la mer alliée avec le soleil. »
En contrebas, collé entre la mer et la dune sétendent les vestiges du port antique
de Kommos ( Komo).
Les fouilles ont été entreprises en 1976 par les Canadiens. Elles sont circonscrites à
lintérieur dun espace grillagé. Le champ de fouille surplombe la mer de
Libye. On peut apercevoir les vestiges dhabitations minoennes (1800 1250 av.
J.C.).
Une large route pavée a été mise au jour, partant de la mer vers lest, en
direction de Phaistos.
Il semblerait que « Komo » fût le port de Phaistos, et commerçât avec dautres pays
méditerranéens (dont lItalie).
Le site est magnifique et
heureusement protégé par une longue histoire des convoitises immobilières quon
devine pressantes.
Assis au pied de la dune,
adossés contre le port antique, il nous reste à écouter ce que le vent qui souffle de
la mer murmure aux oiseaux marins qui
semblent être les seuls maîtres de ce paysage minéral enfoui sous le sable des
siècles.
Au loin, un lent cargo sestompe dans cette épure idéale : La Méditerranée,
rêve et lien des hommes de tous les temps et de tous les rivages. Mare Nostrum.
Christophe GOLFIER