Voici les articles  du Bulletin N°1 de l'association.
Quatrième trimestre 1998
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SOMMAIRE DU N°1


Editorial   Gerard LABONNE


CRETE D'AUJOURD'HUI


CRETE D'AUTREFOIS


Editorial

 

Edito L’appel de Maria  
Maria est de ces femmes qui entretiennent la tradition hospitalière crétoise ; avec sa famille, Maria est heureuse d’accueillir dans sa bâtisse de Kokini Chani le voyageur en quête de toit. 

Comme beaucoup de ses congénères, elle propose aux visiteurs des chambres coquettes et bon marché dans un cadre reposant. Mais ce visiteur devient rare, avalé par la boulimie des complexes hôteliers qui construisent leur gigantisme autour de plages préfabriquées. Et, Maria a peur; peur pour ses enfants qui, dès cette année sont obligés de partir pour chercher du travail ; peur pour son village qui se transforme à grande vitesse sous les coups assassins des spéculateurs ; peur pour son île qui connaît une nouvelle occupation, plus insidieuse : celle des capitaux européens pour un tourisme doré. Mais Maria lutte ; elle crie fort sa volonté de rester crétoise sur ce terreau de traditions séculaires. Ce n’est pas du nationalisme mais une volonté farouche de rester vivant. 

Et nous partageons cette aspiration, parce que nous aimons cette terre aux antiques "cent villes ", ce royaume de Minos, cette éternelle résistante ; parce que le contact direct avec le Crétois, c’est l’échange, la connaissance, la culture et pour nous la forme de tourisme la plus mutuellement enrichissante et respectueuse des identités. 

Nous prolongeons le cri de Maria pour que la raison l’emporte sur le mercantilisme. 

Nous répondons à l’appel de cette terre comme l’a fait en son temps un autre ami de la Crète : Victor HUGO quand les canons turcs abattaient les murs d’Arcadie.Nous ferons tout pour que la Crète reste porteuse de nos mythes et de nos rêves, pour que les valeurs de son peuple soient la fierté de tous les visiteurs.  

   Gérard LABONNE

 

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A la découverte de la Crète:

La Crète, avec une superficie de 8261 km2, occupe la cinquième place parmi les îles méditerranéennes, après la Sicile, la Sardaigne, Chypre, et la Corse. De par sa variété de paysages, une flore abondante, une faune variée, un climat doux et régulier, la Crète attire chaque année des milliers de touristes. On la repère facilement à sa forme oblongue, et c’est l’île la plus méridionale de la Grèce. Elle est très montagneuse, et s’étend en longueur sur 260 km. Sa largeur varie entre 12 et 60 km. Ses côtes, rocheuses ou sablonneuses,s’étalent sur 1046 km. On dénombre environ 650 000 habitants La Crète est forrmée de quatre nomi (départements) dont les chefs-lieux sont la Chanée, Rethymnon, Heraklion et Agios Nikolaos.Chacune de ces villes a un charme bien spécifique et recèle bien des surprises.


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Rencontre Avec...

Nikos Kastrinos est crétois.
Crétois à PARIS, où il exerce ses talents de restaurateur au “Minotaure ”, Rue de la Huchette dans le 5ème arrondissement.
Dans son regard se lit la nostalgie des exilés, de ceux qui, un jour, ont emprunté les chemins du monde en laissant un langage, des êtres, un ciel.
L’homme en partance est riche de sa culture . Nikos est de ceux là. Sa lyre l’a suivi jusqu’en France comme un prolongement de lui même. La musique le ramène aux confins des rivages crétois, berceau d’une culture multi-millénaire.
Certains soirs, des caves du 5ème arrondissement s’exhalent des accents égéens qui se mêlent à la nuit parisienne. Là, on aimerait partir. Oui, on aimerait partir.
   En Crète, vous étiez musicien, à PARIS, vous êtes restaurateur, néanmoins vous ne pouvez quitter votre lyre. Vous donnez des cours et, de temps en temps, vous accompagnez vos musiciens pour le plus grand plaisir de vos clients. D’où vient cette passion ?
Nikos Kastrinos : Elle vient de mon grand-père. Quand j’étais jeune, je jouais en cachette avec la lyre de mon grand-père. En cachette parce que mon père avait peur que je laisse mes devoirs scolaires. Et un jour, à l’occasion d’une grande fête, des amis de la famille sont venus féliciter mon père et lui ont dit : « ton fils joue bien ». Il était tellement fier qu’il m’a acheté une grande lyre. Depuis, je joue et quand on joue de la lyre, on ne plus s’en passer. Et c’est encore à cause de la lyre que je suis venu en France pour jouer dans un établissement et je suis resté. Maintenant, j’ai des jeunes enfants, je leur apprends pour prolonger la tradition. Et ils ont envie d’apprendre.
  
Existe-t-il des écoles de lyre ?
NK :  En Crète, dans toute les grandes villes. Actuellement, il y a une recrudescence importante de   l’intérêt pour cet instrument. Une pépinière de jeunes talents s’épanouit. De plus, la Crète est quasiment la seule région de Grèce où l’on conserve cette tradition de la lyre lors des fêtes familiales et locales. Il y a vraiment une fierté crétoise pour la musique et les traditions insulaires.
  
On apprend cet instrument de père en fils…
NK : Oui, c’est vrai. Principalement les garçons. Mais on trouve à présent quelques filles, et je dois avouer ma surprise lors de mon dernier séjour dans l’île, à l’occasion d’un concert donné par de jeunes joueurs dont le professeur était une femme.
   Peut on dire que la lyre a une origine divine ?
NK : Oui, bien sûr. J’en suis convaincu. Souvenons nous d’Apollon. Le son de la lyre est unique, très particulier, différent de celui du violon. On peut dire qu’il est fait pour la musique crétoise. On dit en Crète : « Si la Crète a deux vies, une de ces vies est la lyre. »
  
La lyre est rarement seule dans un orchestre, elle côtoie la guitare, le laoùto (luth), la mandoline dans l’expression musicale crétoise. Quelle  est sa particularité dans l’orchestration ?
NK : Normalement, elle est avec un Laoùto.
La lyre est un instrument qui joue des sons longs, mais elle doit être accompagnée ; autrefois, c’était avec un tambourin (daoùli), aujourd’hui, en Crète, la lyre est avec 2 luths – un qui garde le rythme, l’autre qui accompagne la lyre- Les plus jeunes ont mis la guitare mais gardé le luth.
Parfois, on voit un bouzouki, mais le bouzouki ne va pas avec la lyre parce que, lui aussi, joue des sons longs et le bouzouki a besoin d’une guitare ou d’un accordéon en accompagnement. Quand les Vénitiens sont venus en Crète, ils ont introduit la mandoline, mais ce n’est pas l’accompagnement naturel.
Dans les nouveaux orchestres, on met une lyre, une guitare et une mandoline ou même parfois, une boîte à rythme. C’est dommage, ça fausse la sonorité. Ce n’est plus la musique crétoise.

   Quelle est la différence entre le rizitiko et les mantinades, deux expressions de la musique crétoise ?
NK : Le rizitiko est avant tout l’expression du malheur et de la joie des gens, de l’âme profonde crétoise à travers les épreuves (occupation, tragédies). La région de Sfakia et tout l’ouest de la Crète a conservé de tous temps et malgré l’adversité, ses traditions et l’âme de la Crète..Les  Mantinades, c’est autre chose, c’est une expression optimiste, on parle d’amour, du chagrin d’amour et le Crétois est toujours amoureux
  
Que peut on dire des rythmes ?
NK : Chaque région a sa façon de jouer les  Mantinades. A l’ouest, c’est dynamique,  plus dur ; à l’est, c’est plus mélodieux, sans doute parce qu’il y a plus de joueurs de violons à Héraklion, Lassithi. En plus, il y a dans chaque département des musiques particulières : « les Kondilies » musique qui accompagne des vers ou groupes de vers ; on entend les kondilies   d’Héraklion, kondilies de Sitia, kondilies de Mirabello. De grands joueurs travaillent ces particularités. Et la lyre est là pour toutes ces expressions.
   Toutes les lyres ont elles le même son ?
NK : Ca dépend du bois, du technicien. Ma lyre vient de chez un fabricant de Rethymnon, qui est décédé aujourd’hui, mais qui a fournit des lyres à tous les grands joueurs de lyre crétois parce qu’il savait choisir le bois. C’est très important car la lyre est d’un seul bloc, sans assemblage ; le bois est creusé et pour avoir l’épaisseur minimum, la sonorité parfaite, il faut beaucoup d’expérience. Même le vernissage est important. Aussi, le luthier est à la fois artisan et musicien ; c’est un artiste.
  
La danse compte beaucoup en Crète. Au vu de sa diversité, peut on parler d’un renouveau actuel ?
NK : Chaque région a ses danses locales : un « Syrtos » dans chaque département ; on a le « Kastrinos » qui vient de Kastro (forteresse) d’Héraklion. En plus de ces deux danses, nous avons le « Pendozali » et la « Sousta ». La danse est pour le Crétois un moyen d’exprimer sa fierté.
   Nikos Kazantzàkis faisait dire à Zorba que le Crétois ne danse que lorsqu’il est heureux. Peut on dire alors que la lyre est l’instrument du bonheur ?
NK : C’est sûr, on le voit dans les mariages, les fêtes, la lyre parle de l’amour ; mais elle parle de la mort également parce que ce sont les éléments de la vie. Oui, la lyre  parle de la vie et reste optimiste
Je voudrais parler d’un joueur exceptionnel, mort jeune : Rodinos. Il avait la passion de la lyre. Egalement Skordalos, mon modèle. Ces deux joueurs ont développé leur propre style, l’ont inventé.
  
Décrivez-nous la technique de jeu de la lyre.
NK : On touche la corde avec les ongles, non avec la pulpe du doigt comme la guitare. Et ainsi les doigts courent entre les cordes.

Et Nikos prit l’instrument.
De l’âme de la lyre partit la longue complainte du Rizitiko que l’on entend dans les montagnes Blanches.

Propos recueillis par Christophe GOLFIER

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Message

 

Hauteville House, février 1867

 

 

En écrivant ces lignes, j'obéis à un ordre venu de haut ; à un ordre venu de l'agonie.
Il m'est fait de Grèce un deuxième appel. Une lettre, sortie du camp des insurgés, datée d'Omalos, éparchie de Cydonie, teinte de sang des martyrs, écrite au milieu de l'honneur et de la liberté, m'arrive.
E
lle a quelque chose d'héroïquement impératif. Elle porte cette suscription : le peuple crétois à Victor HUGO. Cette lettre me dit : continue ce que tu as commencé. Je continue, et, puisque Candie expirante le veut, je reprends la parole (....).
Veut on savoir où en est la Crète ? Voici des faits. L'insurrection n'est pas morte. On lui a repris la plaine, mais elle a gardé la montagne. Elle vit, elle appelle, elle crie au secours. Pourquoi la Crète s'est elle révoltée ? Parce que Dieu  l'avait faite le plus beau pays du monde et les Turcs le plus misérable ; parce qu'elle a des produits et pas de commerce, des villes et pas de chemins, des villages et pas de sentiers, des ports et pas de cales, des rivières et pas de ponts, des enfants et pas d'écoles, des droits et pas de lois, le soleil et pas la lumière. Les Turcs y font la nuit. Elle s'est révoltée parce que la Crète est Grèce et non la Turquie, parce que l'étranger est insupportable, parce que l'oppresseur, s'il est de la race de l'opprimé est odieux, et, s'il n'en est pas, horrible ; parce qu'un maître baragouinant la barbarie dans le pays d'Etéaque et de Minos est impossible ; parce que tu te révolterais France (....)

On connaît ce mot, Arcadion, on connaît peu le fait. En voici les détails précis et presque ignorés. Dans Arcadion, monastère du mont Ida, fondé par Héraclius, 16 000 Turcs attaquent 197 hommes, et 543 femmes, plus les enfants. Les Turcs ont 26 canons et 2 obusiers, les Grecs ont 240 fusils. La bataille dure deux jours et deux mois ; le couvent est troué de 1 200 boulets ; un mur s'écroule, les Turcs entrent, les Grecs continuent le combat, 150 fusils sont hors de service, on lutte encore six heures dans les cellules et dans les escaliers, et il y a 2 000 cadavres dans la cour. Enfin la dernière résistance est forcée ; le fourmillement des turcs vainqueurs emplit le couvent. Il ne reste plus qu'une salle barricadée où est la soute aux poudres (....)

U
ne intervention terrible, l'explosion secourt les vaincus, l’agonie se fait triomphe, et ce couvent héroïque, qui a combattu comme une forteresse, meurt comme un volcan. Psara n'est plus épique, Missolonghi n'est pas plus sublime. Tels sont les faits. Qu'est ce que font les gouvernements dits civilisés ? Qu'est ce qu'ils attendent ? Ils chuchotent : patience, nous négocions. Vous négociez ! Pendant ce temps- là on arrache les oliviers et les châtaigniers, on démolit les moulins à hiole, on incendie les villages, on brûle les récoltes, on envoie des populations entières mourir de faim et de froid dans la montagne, on décapite les maris, on pend les vieillards, et un soldat turc, qui voit un petit enfant gisant à terre, lui enfonce dans les narines une chandelle allumée pour s'assurer s'il est mort.

C'est ainsi que cinq blessés ont été, à Arcadion, réveillés pour être égorgés. Patience ! Dites-vous. Pendant ce temps-là les Turcs entrent au village Mourniès, où il ne reste que des femmes et des enfants, et, quand ils en sortent, on ne voit plus qu'un monceau de ruines croulant sur un monceau de cadavres, grands et petits. La politique patiente des gouvernements se résume en deux résultats : déni de justice à la Grèce, déni de pitié à l'humanité.
 Rois, un mot sauverait ce peuple.
Un mot de l'Europe est vite dit.
Dites-le.          
A quoi êtes vous bons, si ce n'est à cela ? Non. On se tait, et l'on veut que tout se taise. Défense de parler de la Crète. Tel est l'expédient. Six ou sept Grandes Puissances conspirent contre un petit peuple. Quelle est cette conspiration ? La plus lâche de toutes. La conspiration du silence. Mais le tonnerre n'en est pas. Le tonnerre vient de là-haut, et, en langue politique, le tonnerre s'appelle Révolution

 

Victor HUGO 

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Si on parlait des minoens.
                On situe la civilisation minoenne vers l’âge de bronze, entre le troisième et le deuxième millénaire avant Jésus-Christ , entre 2400 et 1200. Dans cet intervalle de temps, les Minoens construisent de riches palais. Ils adaptent le sol à leurs besoins, développent un art exceptionnel et font des échanges avec leurs plus proches voisins.
        Au début du troisième millénaire, ils s’établissent dans de petites communautés villageoises, travaillent la pierre et le métal, fabriquent des vases et des sceaux, des bijoux et des objets usuels.
        Au début du deuxième millénaire, apparaissent les premiers palais. Dans ces constructions grandioses on trouve des magasins où l’on entrepose des céréales, de l’huile et divers produits des récoltes, on trouve également des ateliers, des résidences, des salles de trône, des sanctuaires et des bassins. Si les palais semblent avoir un rôle administratif, ils ont avant tout un rôle religieux, ce qui nous amène à les considérer comme des temples. Ce sont des centres de pouvoir où vit le roi-prêtre. De véritables villes les entourent, comptant quelques milliers d’habitants. On y commerce, on y  redistribue toutes sortes de marchandises, produits agricoles ou produits du formidable art minoen.  On y trouve plus de confort qu’à la campagne. Les rues sont pavées, on y observe des systèmes de circulation d’eau, on imagine aisément la présence de salles de bain et de toilettes.  Les rues sont étroites et les maisons de pierre accolées les unes aux autres forment des blocs compacts, que séparent des jardins et des cours. Contrairement aux palais, ces maisons sont construites au bon vouloir de chacun, en absence totale de plans, avec les matériaux directement extraits du sol.
Les deux palais les plus grandioses sont Knossos et Phaistos, et l’on croit au début du 20ème siècle, lors des premières fouilles, que l’ère minoenne se développa essentiellement dans la partie orientale de l’île. Bien entendu il n’en est rien : les baies naturelles de la Crète, propices aux entrées et sorties des bateaux, ont fait naître d’importants centres tels que l’antique Kydonia et Kommos. La mer est également très présente dans la vie minoenne. De nombreux navires, ou simplement des coquillages et des crustacés sont représentés tant sur les fresques que sur les poteries. La plus belle preuve de leur attachement à la mer reste le dauphin, devenu animal sacré en Crète.
Les minoens se déplacent non seulement sur leurs côtes, mais aussi jusque sur les côtes asiatiques ou africaines, pour y vendre les produits de leur terre et de leur artisanat. On trouve trace des Crétois enEgypte ou en Syrie, à Malte ou encore en Turquie.
        Mais la Crète est avant tout une terre de paysans. La vie rurale s’organise autour   de petites agglomérations, près d’une source ou d’un cours d’eau, ou sur les pentes plus ou moins douces d’une montagne. Chacun possède un lopin de terre pour y faire un potager, élève un âne, quelques chèvres, des moutons, ainsi que des volailles , et en cela rien ne semble avoir changé au cours des siècles.
        Les maisons sont simples, généralement carrées ou rectangulaires, les murs sont sommairement taillés dans de gros blocs de pierre. Dans certains de ces villages, on trouve une villa plus importante. C’est une sorte de ferme, de plusieurs pièces. Et l’on suppose que son propriétaire y vit à son aise, les murs y sont solides et la maison se situe au milieu de riches cultures. Vathypetro et Tylissos sont de merveilleux exemples de ces somptueuses résidences.
        En dehors des agglomérations, on voit quelquefois une hutte, une cabane de berger, quand celui-ci ne s’abrite pas dans une caverne, et ce n’est pas ce qui manque dans cette île !
        Les villages sont bien souvent entourés de vignobles et de champs d’oliviers. On cultive grand nombre de céréales, de l’orge, du blé, du froment, et également des légumineuses. Beaucoup de végétaux poussent à l’état sauvage : on cueille le lin pour en faire du tissu et de la sauge pour ses vertus médicinales.
On fabrique de l’huile, du vin, on taille la pierre, on extrait des minerais, on chasse dans la montagne.
Et on sème, on laboure, on moissonne, on récolte sous l’œil bienveillant de Demeter
……en effet, le Minoen n’oublie jamais ses dieux.
        Les palais apparaissent donc vers l’an 2000 avant JC. En même temps apparaît une écriture : le Linéaire A. On compare les rois crétois à des pharaons, exerçant un contrôle important  sur la population, et abritant dans leur palais des scribes. Le symbole de cette royauté religieuse est la double hache. Les dieux crétois n’ont pas de temples, mais des chapelles dans les palais.
        L’intérieur des pièces du palais est souvent badigeonné de rouge, et les artistes peignent directement sur les murs : on y voit des animaux, des fleurs, quelquefois des personnages.
On a découvert des tables d’offrandes rectangulaires ou circulaires, par exemple à Malia une belle table à cupules circulaires. A Knossos, on a trouvé des autels quadrangulaires ornés de cornes et de doubles haches , des objets en terre cuite représentant un enclos d’arbres sacrés, des coquillages en forme de cornes ayant pu servir à l’appel aux offices.
Que ce soit sur les peintures murales, sur les vases, sur les chatons des bagues, on trouve des représentations de cérémonies religieuses qui avaient lieu dans les cours des palais, sur les agoras à l’extérieur.
        On s’aperçoit que la religion minoenne est surtout celle d’un peuple de paysans : processions et danses portent un intérêt particulier à la vie des champs. Elles sont associées à la vie de la terre, à la croissance des plantes, à l’arrivée du printemps. Selon la légende, Demeter naquit en Crète, puis s’unit à Jasion, un laboureur, avant de venir dans la plaine d’Eleusis, afin d’initier les Grecs aux secrets de la culture. Les danses mimaient les semailles, les plantations, la cueillette, les récoltes.
On suppose qu’il devait exister des confréries cultuelles, sans doute secrètes, qui perpétuaient rites et danses sacrées. Par exemple les Courètes, fondeurs de bronze, qui veillaient sur l’enfance de Zeus, et dansaient pour le Dieu en frappant sur leurs boucliers.
On trouve également trace de sacrifices. Le fameux sarcophage d’Agia Triada représente le sacrifice d’un taureau et une scène d’offrandes de fruits. Dans bon nombre de sites on retrouve des restes d’animaux immolés.
Le Minoen adore ses dieux, il les vénère, il les craint. En effet il se soucie beaucoup de son avenir dans l’Au-delà. Lors de chaque cérémonie funéraire, on apporte des offrandes, des objets ayant appartenus au défunt. Les tombes sont de formes diverses, carrées ou rondes, et couvertes. Le corps est enveloppé dans un linceul, et pour les plus riches, déposé dans un sarcophage.
        Comme dans la plupart des religions, la religion crétoise a débuté par le fétichisme, pour déboucher ensuite vers le polysymbolisme et l’anthropomorphisme. Cette religion est pleine de mystères. Dès le néolithique on voit apparaître des idoles féminines. La Grande Déesse gouverne la vie, le monde animal. Elle peut être entourée de fauves, de serpents, ou encore de colombes. Les représentations mâles sont plus rares : on trouve de petites statues de guerriers, de chasseurs. Le dieu mâle est souvent symbolisé par le taureau, la double hache. C’est le Dieu Crétois, dieu de la fécondité, fils et amant de la Grande Déesse. Il meurt et renaît périodiquement dans la grotte du Mont Iouktas. Minos, roi-prêtre, faisait retraite tous les 9 ans dans la grotte sacrée, afin de reprendre contact avec la divinité.
        La religion minoenne a longtemps survécu en Crète, se prolongeant jusqu’à l’époque romaine, au travers des cultes dans les grottes sacrées. Elle a influencé la religion grecque par l’intermédiaire des Achéens de Mycènes. Les conceptions crétoises de la divinité ont donné naissance au Panthéon grec. Sauf que les dieux de l’Olympe étaient immortels, alors que les crétois mouraient et renaissaient. Pour les Grecs, la Crète restera une source d’inspiration alimentant les légendes de Dyonisos, d’Apollon ou encore d’Héraklès.
        En 1750 avant JC, on constate la première chute des palais, ils sont reconstruits ensuite, et une nouvelle écriture apparaît : le Linéaire B. Les palais seront définitivement détruits aux environs de 1200, probablement par l’invasion d’un peuple venu de la mer.
       On n’a malheureusement pas trouvé de textes religieux, mais le déchiffrage de l’écriture minoenne n’est pas terminé, et l’on peut espérer en savoir un jour davantage…La Crète pourrait bien encore nous réserver des surprises. Elle nous étonne déjà au travers de ses gigantesques constructions, de ses fresques, de ses poteries, de ses mythes, issus de l’imagination, du formidable rêve minoen.
Des siècles ne suffiront pas à tout déchiffrer, à tout analyser, à tout comprendre. Aurons- nous le temps matériel d’en saisir l’essence ?
Suzanne

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Ecriture : l'enigme crétoise

Dans la grande aventure des écritures, les historiens, les ethnologues et les graphologues ont retissé les liens qui font remonter l’origine de notre alphabet moderne à l’époque  sumérienne vers 3300 avant J.C.. De l’écriture cunéiforme naissante entre le Tigre et l’Euphrate à l’alphabet utilisé dans les écoles  françaises du XXe siècle plus de 5 millénaires  d’évolution, de révolutions  ont marqué l’histoire de l’humanité.
Dans cette vaste tranche d’histoire, la Crète, qui a dominé en mer Egée pendant plus de 5 siècles (2000 – 1450 av. J.C.), qui a commercé avec l’Egypte et  les ports syro-palestiniens, a développé  des écritures singulières qui continuent à garder leurs parts de mystères.
- Quand naquit la première écriture crétoise ?
- Quel sont les liens entre les écritures hiéroglyphiques, linéaire A et linéaire B ?

 Les recherches conduites par trois amoureux de la Grèce ont permis de mettre à jour des éléments de réponses à ces questions.
 Le mérite est d’autant plus grand qu’à la fin du siècle dernier, toute trace des civilisations minoenne et mycénienne avait disparu. Ce qui marquait profondément le contexte de l’époque était l’inconnu et donc, ne pouvait être comparé aux conditions des «Egyptologues » ou  des chercheurs mésopotamiens. Aussi, aux premiers pas de l’archéologie grecque, on ne peut parler de découvertes sans parler du génie de leurs auteurs.
 
   La nouvelle épopée homérique
 Quel était le point de départ ? Uniquement l’héritage laissé par les auteurs anciens : Homère bien sûr, mais aussi Hérodote, Platon, Thucydide, Diodore de Sicile ou Pausanias et bien d’autres. Des écrits où se mêlaient des aspects romanesques, les déformations dues au temps et aux traditions orales.
Et après études, analyses de ces textes, l’histoire a refait surface de façon magistrale sous les coups de pioches de  Heinrich Schliemann sur la colline basse de Hissalik en Turquie. Entre 1871 et 1873, il va donner vie à l’archéologie homérique. Le monde entier va savoir que Troie existe
Et si Homère avait dit vrai pour Troie, la ville de Priam, pourquoi aurait-il mentit pour Mycènes, la ville d’Agamemnon ?
Aidé par les affirmations de Pausanias au IIème siècle après J.C., selon lesquelles les tombes contenant les trésors des fils de Pélops se trouvaient près de Mycènes, Schliemann creusa des tranchés à l’intérieur même de l’enceinte de la ville, derrière la porte aux lions et trouva les richissimes tombes des rois de Mycènes..

Ses trouvailles spectaculaires avaient attiré en mer Egée chercheurs et savants.
L’universitaire Arthur T. Evans avait 25 ans au moment des découvertes mycéniennes, et, plein d’intérêt pour le passé, il remarqua l’inexistence de traces écrites dans tout le mobilier funéraire remonté à la surface par Schliemann. Etait-il concevable qu’une riche civilisation maîtrisant l’artisanat, ignore toute forme d’écriture ?
    Les écritures crétoises.
 Il est vrai que la présence d’écriture, même primitive, est corollaire d’une organisation sociale et politique structurée, hiérarchisée. C’est ce que, sur le plateau anatolien, les Hittites connaissaient à la même époque.
Pourquoi pas en mer Egée ?
 Des hasards heureux allaient déclencher un processus de réponse.
En 1889, un antiquaire vend une pierre gravée sur 4 faces à l’Ashmolean Muséum d’Oxford. D’après ce marchand, l’objet viendrait de Sparte..
Après examen, Evans est partagé entre deux hypothèses :

-          Ou bien l’objet est d’origine hittite – La tête de chien (ou de loup) tirant la langue qui se trouve sur la surface c est semblable à celle représentée sur des objets hittites.
-          Ou bien un système d’écriture d’origine anatolienne s’est développé en mer Egée au deuxième millénaire avant J.C.
En interrogeant le musée de Berlin, il put établir que de nombreuses pierres étaient gravées de caractères hiéroglyphiques, distincts des hiéroglyphes égyptiens et hittites. L’origine crétoise était confirmée lors du voyage d’A. Evans en Crète en 1894. Il constata que de nombreuses femmes portaient au cou, comme un talisman,  ce type de pierre qu’elles appelaient galopètres «pierres de lait ». Il put noter que l’ensemble de ces signes formait une écriture cohérente. Ces résultats furent publiés dans le Journal of Hellenic Studies sous le titre «les pictogrammes crétois et l’écriture pré- phénicienne ».
Les preuves de l’existence d’une écriture crétoise au second millénaire allaient se multiplier.
Des signes beaucoup plus évolués que les hiéroglyphes étaient gravés sur un vase découvert à Podromos Botsanou. Cette écriture fut considérée par Evans comme syllabique.
Dans la couche préhistorique de la grotte de Psychro, sur le plateau du Lassithi, une table à libation en stéatite noire composée de godets creusés dans la pierre et destinés à recevoir des offrandes fut trouvée en 1896. Cette table comportait une inscription de huit signes entremêlés de deux interponctions, de même type qu’à Podromos. C’était peu mais néanmoins suffisant pour dire que nous nous trouvions devant des témoignages  d’une écriture pratiquée par les Crétois à un âge préhistorique. Evans baptisa ce système d’écriture de linéaire A.
La révolution crétoise contre les Turcs éclata en 1896 et la mise en place du nouveau gouvernement autonome fournit l’occasion à A. Evans de fouiller le fameux site de Cnossos sur lequel, un antiquaire crétois, Minos (prédestiné !!) Kalokairinos avait ramassé des objets prometteurs.
Nous ne ferons pas ici la chronologie des fouilles de Cnossos mais il est d’une grande importance de noter la présence de trois écritures superposées dans des couches qui remontent au deuxième millénaire.

-          La plus ancienne, celle des pierres de lait, est une écriture pictographique que l’on retrouve à Cnossos sur des tablettes, des médaillons d’argiles et des empreintes de cachets.
-          La seconde, appelée linéaire A, était ordonnée par les scribes de gauche à droite
-          La plus grande majorité des documents trouvés étaient rédigés en une écriture qu’Evans appela linéaire B : elle date de la dernière phase de la construction du palais.
A la même période, l’Américain Blegen partit à la recherche du palais du roi Nestor, combattant troyen. Il mit à jour, dans la région d’Epano Englianos au nord de la baie de Navarin, près de 600 tablettes en linéaire B qu’il sortit de la salle d’archives du roi Nestor à Pylos . Cette découverte montrait que le linéaire B n’était pas une écriture exclusivement crétoise ; elle entraînait de nouvelles questions : comment des documents trouvés sur le continent pouvaient-ils être semblables à ceux de Cnossos ? Cette complication   portait un coup au «crétocentrisme » d’Evans.
Nous étions donc face à un nouveau défi : le déchiffrement de ces écritures inconnues servant à noter une langue inconnue. Evans et beaucoup d’autres savants tentèrent de le relever.

    Le linéaire B
 Des pistes furent ouvertes : Evans compara le linéaire A et B et le syllabaire chypriote, il constata la présence de déterminatifs dans le linéaire B et le caractère décimal des chiffres utilisés ; en 1927, l’Américain  A.E. Cowley détermina les groupes de signes désignant les enfants, les garçons et les filles ; sa compatriote Alice Kober démontra que certains groupes de signes présentaient deux variantes par rapport à la forme simple. Ces trios prouvaient que le linéaire B était flexionnel ; après la seconde guerre mondiale, l’Américain Emmet L. Bennet mit de l’ordre dans les documents mycéniens, il étudia les variantes de signes.
Tous les éléments du puzzle étaient posés sur la table, au génial chercheur de les rassembler.
En 1940, à 18 ans, Michael Ventris publiait un article dans l’American Journal of Archaeology intitulé : « Introducing the Minoan language » dont l’idée principale était de chercher une langue apparentée au «minoen» et l’Etrusque semblait le mieux placé. La guerre interrompit cette recherche..
En 1948, après avoir obtenu son diplôme d’architecte, il reprend ses recherches sur le linéaire B. Il souligne le besoin d’identifier les alternances entre signes indépendants des valeurs phonétiques à attribuer à ces derniers. Il commença ses « Work Notes» qu’il décida de faire circuler parmi les spécialistes des écritures égéennes. Ces « Work Notes » sont aujourd’hui publiées et chacun peut mesurer le cheminement du génie de Ventris entre la « Work Notes » n°1 du 28 janvier 1951 et  la « Work Notes » n° 20 du 1er juin 1952 intitulée «les tablettes de Cnossos et de Pylos sont-elles écrites en Grec ? » dans laquelle il propose de voir du  Grec dans les syllabogrammes du linéaire B. Dix huit mois de travail acharné pour résoudre une énigme de 3500 ans..
La communauté scientifique lui donna raison ; les fouilles archéologiques suivantes confirmèrent cette  réussite.
Une page de l’histoire grecque était à réécrire : les Mycéniens parlaient grec et écrivaient le grec avec le linéaire B.

Le linéaire B découle du linéaire A : les idéogrammes, le système numérique décimal, les syllabogrammes sont les mêmes. Les Mycéniens ont appris à écrire à l’école minoenne. Quand et comment cet emprunt s’est-il fait ?
Deux spécialistes des langues crétoises ont tenté d’y répondre. J.L. Godart et J.P. Olivier. Tous deux pensent que l’invention du linéaire B est un fait crétois ; l’unité paléographique des documents trouvés dans le monde grec ne peut s’expliquer que si l’emprunt a été fait en une fois et à une source unique. Cette source doit être une forme de linéaire A agrémentée  par les besoins économiques des Mycéniens. Cette adaptation a eu lieu vers 1600 avant J.C. et en Crète dont certains grands centres étaient devenus des comptoirs mycéniens.
Et quels sont les liens entre les écritures hiéroglyphiques et le linéaire A ?
Les découvertes à Arkhanès, Mallia et, en 1953, à Phaistos  ont montré que dés l’époque protopalatiale (2000 à 1600 av J.C.), les Minoens utilisaient  ces 2 écritures différentes et ceci dans un contexte pacifique et pour traduire une même langue.
Aujourd’hui, on ne peut guère en dire plus sans tomber dans des hypothèses de spécialistes. Le travail reste à faire : ces écritures sont à lire, et aspect encore plus complexe, à traduire. Et personne ne peut affirmer que nous ne sommes pas en présence d’une langue inconnue et peut être à jamais disparue.
Le débat continue et c’est à partir de la découverte d’autres tablettes, d’autres matériaux et surtout avec une bonne dose de patience et de ténacité que l’analyse viendra peut être à bout des secrets de Minos

Gérard LABONNE

Bibliographie :
- L. GODART : Le pouvoir de l’écrit – Aux pays des premières écritures
- J. CHADWICK : Le déchiffrement du linéaire B
- P. FAURE : La Crète au temps du roi Minos.
- S. ALEXIOU : La civilisation Minoenne.
- M. MASTORAKIS / M VAN EFFENTERRE : L’âge d’or de La Crète.

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Kommos : porte sur la Méditerannée.

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Tout d’abord, on quitte Pitsidia en direction du sud par un sentier à travers les oliviers et les figuiers
On chemine parmi d’anciens vignobles délaissés par l’homme. Quelques guêpes bourdonnent dans ce paysage crétois.
L’odeur puissante des figues jaillit à l’improviste. Des filets tapissent le sol au pied des oliviers. L’été grec touche à sa fin.
Le chemin arrive maintenant à son terme : La Méditerranée. Un bleu profond qui se mêle au vent venu du large, de l’Afrique tout au bout, de l’autre coté. Comment ne pas penser à Arthur RIMBAUD : « L’éternité (…) c’est la mer alliée avec le soleil. »
En contrebas, collé entre la mer et la dune s’étendent les vestiges du port antique de Kommos
Komo).
Les fouilles ont été entreprises en 1976 par les Canadiens. Elles sont circonscrites à l’intérieur d’un espace grillagé. Le champ de fouille surplombe la mer de Libye. On peut apercevoir les vestiges d’habitations minoennes (1800 – 1250 av. J.C.).
Une large route pavée a été mise au jour, partant de la mer vers l’est, en direction de Phaistos.
Il semblerait que « 
Komo » fût le port de Phaistos, et commerçât avec d’autres pays méditerranéens (dont l’Italie).
Le site est magnifique et heureusement protégé par une longue histoire des convoitises immobilières qu’on devine pressantes.
Assis au pied de la dune, adossés contre le port antique, il nous reste à écouter ce que le vent qui souffle de la mer murmure aux oiseaux marins  qui semblent être les seuls maîtres de ce paysage minéral enfoui sous le sable des siècles.
Au loin, un lent cargo s’estompe dans cette épure idéale : La Méditerranée, rêve et lien des hommes de tous les temps et de tous les rivages. Mare Nostrum. 

Christophe GOLFIER

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